Kada Simoxe

A Malaga, le musée de famille de Picasso



C'est à Malaga, le 25 octobre 1881, que Picasso est né. L'aurait-on oublié ? Des étendards
accrochés aux lampadaires de la vieille ville rappelaient en tout cas l'événement lors des
festivités flamboyantes qui ont accompagné fin octobre l'inauguration, en présence du roi et
de la reine d'Espagne, du dernier-né des musées consacrés à l'artiste.
Le quatrième. Après celui d'Antibes (1947), né du vivant de l'artiste, à la suite d'un séjour
idyllique du peintre au château Grimaldi où il avait été invité à venir travailler par le
conservateur du musée, Romuald Dor de la Souchère. Après celui de Barcelone (1963), ouvert
grâce à la donation de Jaime Sabartes, ami et secrétaire de l'artiste. Après le musée de l'hôtel
Salé à Paris (1985), qui renferme la considérable dation reçue par l'Etat français en paiement
des droits de successions.


Picasso, au fond, a fait aussi bien, sinon mieux, que Rodin, dont les trois ou quatre musées
dans le monde s'expliquent par la multiplication des bronzes post mortem autant que par
l'abondance de la production du sculpteur. Avec Picasso, c'est une autre histoire : celle d'une
œuvre pléthorique dont on ne sait sûrement pas tout, malgré la quantité des expositions qui
lui sont consacrées, malgré la circulation des œuvres partagées entre les héritiers après la
mort de l'artiste, en 1973. A preuve, ce nouveau musée de Malaga, né de la générosité de
Christine Ruiz Picasso, veuve de Paul, dit Paulo, (fils de Pablo et d'Olga Kokhlova), et de
Bernard Ruiz Picasso, son fils. De Christine, le musée andalou a reçu en donation 133 œuvres.






Bernard, petit-fils du peintre, en a donné 22 et prêté 49 pour une longue durée.
Le projet du Musée Picasso de Malaga remonte à une dizaine d'années. A beaucoup plus loin
en réalité si on se réfère au vœu d'intellectuels et de notables de la ville formulé dans une
lettre à Picasso en 1953, signée Juan Tamburi. L'idée d'un musée dans sa ville natale, où il
vécut dix ans avant de partir pour La Corogne, puis Barcelone et Paris, ne devait pas déplaire
à l'artiste, puisqu'il envoya Paulo à Malaga pour tâter le terrain. Mais les choses en restèrent
là : dans l'Espagne franquiste, le peintre de
Guernica, qui plus est communiste, était
indésirable.


Christine Ruiz Picasso s'est souvenue de cet épisode après sa visite en 1992 de l'exposition
"Picasso Clasico" au palais épiscopal de Malaga. A cette occasion, toute la famille Picasso
avait bien voulu prêter des œuvres, à la demande de son commissaire, Carmen Gimenez.
Sans cette spécialiste de la sculpture au XXe siècle et des musées d'art moderne - elle est à
l'origine du Musée Reina Sofia de Madrid et du Musée Guggenheim de Bilbao -, le nouvel
établissement de Malaga ne serait sans doute pas ce qu'il est : une réussite.


Le succès de l'exposition de 1992 et son accueil chaleureux ont incité Christine Ruiz Picasso à
proposer au gouvernement autonome d'Andalousie la création d'une fondation à partir de la
donation de la plus grande partie de sa collection. Celle-ci était alors présentée (par Carmen

Gimenez, toujours elle) à Malaga et à Séville, puis à Nîmes (en 1995), sous le titre "Picasso,
premier regard".


Cette collection, accrochée comme il faut sur les cimaises parfaites du musée de Malaga, ne
manque ni de charme ni d'intérêt particulier. Elle donne en effet de l'artiste une image
sensiblement différente de celle qu'on a l'habitude de croiser : un Picasso au quotidien,
intime et familial, qui s'attendrit sur son premier rejeton joufflu, croque son monde
gentiment, multiplie les pochades, bricole des petites sculptures à ne pas manquer, s'adonne
à la céramique. On y trouve beaucoup de dessins. Parmi les tableaux figurent le très
traditionnel portrait d'
Olga à la mantille de 1919, un Buste de femme, les bras croisés
derrière la tête, et nez au vent
, de la période de Royan (1939), l'insolent Nu couché et chat de
1964, ou encore la
Baigneuse dans les vagues de 1971 et ce terrible Homme, femme et enfantdégoulinant de noir de 1972. De bonnes choses, certes, mais un peu minces pour bâtir un
musée.


C'est là que le petit-fils de Picasso, Bernard Ruiz Picasso, vient en renfort par des dons et des
prêts à long terme (dix ans renouvelables) ou à court terme (un an) d'œuvres de sa propre
collection, dont on ne sait sûrement pas tout. Elle est en tout cas forte en dessins cubistes, en
figures géométriques et organiques des années 1920 et 1930 ; elle comprend un étonnant
tableau de 1962
, Coq sur une chaise sous la lampe, et de grandes toiles fascinantes de la
dernière période, portraits en pied ou cul par terre de figures héroïques ou légendaires,
dramatiquement brossées à l'emporte-pièce.



Ainsi, toutes les époques de l'œuvre sont représentées dans le nouveau musée, dont la
conception et l'adaptation à une architecture ancienne sont très réussies. Il faut le verser à
l'actif de Carmen Gimenez, nommée directrice du projet, et maintenant du musée, et à celui
de Richard Gluckman, l'architecte qui dessina la Dia Foundation à New York. L'intervention
de ce dernier est sobre et efficace, respectueuse de l'ancien palais du XVI
e siècle, de ses vieux
murs, de son patio, de ses salles aux plafonds de bois ouvragé. Elle a doté le musée
d'équipements modernes : grandes salles d'expositions temporaires avec lumière zénithale,
réserves, auditorium, librairie, cafétéria donnant sur une cour intérieure, avec une ligne d'eau
et des arbres.



LE MONDE | 06.11.03                                                                                Par Philippe KEROURIO
 

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